Témoignage de Monique Vicedo



VOUS SOUVENEZ-VOUS ?


C’est à travers les récits de maman que je me souviens de l’entrée de « La Mine » dans la famille.


Elle m’a rapporté qu’au cours de l’année 1935, mon oncle Camille Mugnier, le père de Jean-Claude, découvre au cours d’une de ses promenades de célibataire ce coin privilégié : Il devait avoir déjà des préoccupations bucoliques pour aller étudier la nature dans un lieu, qui à une époque où les voitures étaient très rares, se trouvait très éloigné d’Oran.
Tout concourt à rendre l’endroit très propice à d’agréables séjours : l'azur de la mer entre le cap-Roux et la Pointe de l’Aiguille, quelques champs paisibles, l'ombre accueillante d'une forêt de pins, et surtout de l’eau douce en abondance. Cette eau indispensable, délicieuse à nos lèvres desséchées et à l’anisette de nos pères !
Le précieux liquide est dispensé à profusion par une source généreuse qui jaillit d’une galerie de mine désaffectée(voir historique), intarissable même par les plus chaudes journées de l’été. C’est cette eau qui, apprivoisée par l’ingéniosité des futurs occupants leur permettra de créer dans un site solitaire un véritable paradis propice à une vie sans soucis.
Les installations d’abord assez sommaires se perfectionnent doucement. L’électricité des éoliennes remplace la lumière hésitantes des lampes à carbure des premiers âges, l’eau est conduite jusqu’aux « cabanons » et enfin, mais bien plus tard, le téléphone, qui est encore en ce temps là un instrument très utile et non l’accessoire d’un esclavage de tous les instants qu’il est devenu !

Le "cabanon en 1937, effet volontaire sur cette photo


Mon oncle construit son « cabanon » en même temps que son ami Simon son voisin immédiat. Les deux villas, sœurs jumelles s’élèvent côte à côte. Le « chalet » de Salord, un bijoutier oranais les rejoint bientôt.
Puis Camille déclare sa flamme à Herminie Moxica sœur aînée d’Elvire ma maman !
Episode des plus romantiques. En effet, pour rendre l’élue de son cœur plus sensible aux charmes de l’endroit et renforcer le chant des oiseaux il installe, pour soutenir l’impact de son tourne-disque à manivelle, des hauts-parleurs, à l’orée de la forêt. Les bois retentissent enfin des accents mélodieux de Tino Rossi, son chanteur préféré !

Tino Rossi

Les deux cousines qui dansent


La belle est subjuguée, conquise !
C’est sur un de ces airs que Jean-Claude et moi, avons dansés sous le regard attendri de nos mamans! Nous avions quatre ou cinq ans !
En 1941, Camille part pour la Syrie où, par une de ces rencontres dont le hasard a le secret, il partage les joies des bivouacs militaires avec Henri Billaut qui deviendra un de ses amis. Ce dernier n’aura qu’une hâte à leur retour en Algérie, connaître réellement cet Aïn Franin dont il avait tant entendu parler.
La Seconde Guerre Mondiale vide les foyers et les femmes, restées seules doivent s’organiser. Les deux sœurs Moxica, Herminie et Elvire s’occupent de leurs enfants. Pour qu’ils puissent profiter du « bon air » des pins,

Maman en vélo


voilà les deux mamans pédalant jusqu’à « La Mine », les deux bébés douilletement installés dans les deux paniers de leurs bicyclettes chargées de provisions !

Chez Mugnier Mme Laffargue, et Habib


Le « chalet » de Salord sera vendu à un cousin Mugnier puis cédé par ce dernier à Marc Freynet qui en fera plus tard le restaurant « Villa Jeanne d’Arc ».
Puis Espinosa construit sa « résidence secondaire » que les Fernandez achèteront par la suite.

1938, en arrière plan chez Espinosa


Arrivent alors les Laffargue, parents des Mugnier, la famille Camalonga alliée des Fernandez, une pensée pour Josiane Camalonga qui nous déguisait et organisait de petites représentations théâtrales dont nous étions les acteurs, pour notre plus grande joie. La famille Estève et leur fils Joseph, (Jo) arrivent en 1952. Ce petit monde se développe par cooptation.
En 1944 l’Armée Américaine installe un de ses camps à Aïn Franin. Ce site offre peu de distractions aux soldats ce qui peut expliquer cette anecdote:
Cette fameuse journée, ma grand-mère, ma tante, Jean-Claude et moi nous trouvons seuls à La Mine.
Nous jouons dans le jardin lorsque ma tante nous pousse vivement dans la maison dont elle « boucle » portes et fenêtres. Elle a vu arriver deux Américains, dont elle ignore l’origine mais qui semblent bien être saouls comme des Polonais! Mon cousin et moi regardons par les lattes des persiennes, ces soldats dont le comportement aléatoire nous intrigue. Leur roulis nous fait songer à des marins ?
Après avoir navigués d’une démarche assez hésitante, à travers le jardin ils se dirigent vers la porte de la cuisine qu’ils frappent du poing avec beaucoup de conviction.

- Mama ! Vino ! Vino ! Mama !

crient-ils dans la langue de Cervantés !
Apparemment l’amour immodéré du vin les a rendus polyglottes !
Ma grand-mère effrayée conseille à ma tante de ne pas leur répondre. Mais celle-ci, armée d’une carabine qu’elle pointe sur les visiteurs indésirables, leur remet la bouteille qu’ils réclament. Bonne façon de se débarrasser d’eux ! Désaltérés ils repartent d’une démarche chaloupée.
Avec une des moustiquaires que les Américains nous avaient données je m'était construit ma maison sur la véranda. Nid douillet où je me sentais bien chez moi!

Feu sur la montagne


Un jour, branle-bas de combat. La montagne brûle et les soldats viennent nous évacuer. Ils nous font grimper dans des camions et nous gavent de chewing-gums pour nous rassurer.
Rien n’aurait pu empêcher mon oncle Camille de se rendre à Aïn Franin dés que l’occasion s’en présentait. Aussi chaque samedi venait-il nous chercher ma grand-mère et moi et nous partions pour retrouver le reste de la bande. Comme nous étions très souvent les premiers arrivés je guettais la voiture qui apparaitrait ensuite au virage. Ninou ? Josie ? C’était Josie le plus souvent car Ninou prenait part à des régates avec son père, amateur de voile chevronné.
Comment est-ce que je voyais ces adultes ?
J’admirais Madame Laffargue, maîtresse-femme, qui conduisait elle-même sa voiture, chose rare à Oran à l’époque, et était une femme d’affaire avisée. C’est elle qui m’a conduite à mon premier bal, celui des Matheux !
Rosalie sa cuisinière que nous taquinions sans cesse en lui chantant « Rosalie elle est partie dans un taxi plein de… » ce qui déclenchait chez elle une terrible colère (feinte) qui nous mettait en joie. Mais les intéressés en parlerons mieux que moi.
Je revois sans peine monsieur Fernandez, personnage au torse impressionnant qu’il aimait comme King Kong, faire résonner de ses poings. Toujours facétieux il nous amusait beaucoup. Son épouse Liliane effacée mais toujours présente comme l’étaient la plupart des épouses de chez nous.
Monsieur et madame Freynet venaient très souvent le soir après dîner participer à des parties de belote acharnées. C’était le fou-rire assuré. Monsieur Freynet avait horreur des insectes nocturnes qui,

attirés par la lueur des lampes venaient tournoyer autour de la table et des joueurs. Dés que l’un d’eux frôlait ses oreilles, (un s’y est même niché, le téméraire !) il poussait des cris aigus en trépignant.
Il était très mauvais perdant et il frôla l’ictère le jour où ma mère , très chanceuse au jeu, exhiba un « tailleur » qu’elle s’était offert avec ses gains en prenant soin d’en souligner la provenance !
Madame Freynet nous paraissait assez sévère et nous la craignions un peu. Il est vrai que la vie ne l’avait pas épargnée. J’aurais une pensée particulière pour un de ses enfants, André, ce si gentil copain que nous avons perdu si jeune encore. Je n’ai pas assisté à son enterrement, car j’attendais mon premier enfant Monique, et maman a craint que les funérailles ne me bouleversent trop. J’étais en effet très fatiguée à ce moment-là!
André passait de très longs mois assis dans un fauteuil car il avait une jambe plâtrée qui lui interdisait tout mouvement brusque. Il se contentait de nous regarder jouer. Roger bavardait souvent avec lui, je n’osais pas en faire autant. Comme mes chutes me condamnaient moi-même très souvent à l’inactivité, je comprenais la frustration que devait ressentir cet ami qui ne pouvait participer à nos jeux.Mon inactivité forcée m'a permis de m'imprégner de ce ballet que m'offraient tous les soirs les marsouins qui, partant de la pointe de l’aiguille se dirigeaient vers le cap roux, le coucher du soleil au ras de l’horizon, spectacle magique.

Ballet de marsouins au coucher du soleil


André venait de retrouver une mobilité normale, lorsqu’un stupide accident de mobylette l’enleva brutalement à notre amitié.

Toute la bande, en médaillon, à gauche Pierre, à droite André


Le sort s’acharnant sur cette famille, son frère Pierre, remuant et tombeur de filles, a lui aussi, était victime d’un accident pratiquement similaire environ un an après.
Ces morts brutales ont été les premiers véritables chagrins qui ont assombri l’atmosphère de notre petit groupe. Nos premiers authentiques contacts avec la vie des adultes !
Monsieur et madame Estève un couple très tranquille et affable. Leur fox-terrier, Kapi, au caractère affirmé a tenté de me mordre alors qu’enceinte, je me reposais sur une chaise longue. Rares sont ceux d’entre nous qui ne conservent pas un souvenir douloureux de ce chien.
Nous adorions rentrer sur Oran dans le fourgon d’Estève ce qui donnait aux Juniors l’occasion de chahuter encore un peu. Ce soir-là, les contrôles d’alcoolémie n’existant pas encore et le soleil ayant tapé dur sur le crâne des joueurs de boules, le fourgon volait vers Oran. Nous chantions tous en cœur, lorsqu’à hauteur du douar Bel Gaïd un choc secoua le véhicule nous ramenant sur terre Un bourricot distrait avait eu la malencontreuse idée de traverser la route perpendiculairement à notre trajectoire au lieu de se garer bien haut sur le premier arbre venu ! Enfin, plus de peur que de mal. Chacun poursuivit son chemin!
La maison de Camille était le lieu de ralliement de toute la famille : On y rencontrait fréquemment Marie Carmen Moxica ma grand-mère, sa sœur Antoinette Infantes et sa fille Claudine Anton, et son autre sœur Salvadora dite Dora.

Une partie de la famille


Celle-ci aussi avait sa petite histoire. Jeune fiancée elle avait reçu par accident une pierre qui lui avait crevé un œil. Nous n’avons jamais su qui maniait le « stac » (onomatopée pour lance-pierre). Lien probable de cause à effet la perte de l’œil entraîna celle du fiancée et Dora resta vieille fille. Cela n’avait apparemment pas entamé son moral car elle était le plus souvent de joyeuse humeur et s’était fait une spécialité d’histoires gentiment cochonnes qu’elle nous distillait aux veillées. Tout ce petit monde restait dormir à Aïn Franin. Comme il n’y avait que deux pièces, des matelas étaient installés « à la Pieds-noirs » sur le sol et tout le monde dormait à poings presque fermés jusqu’au matin.Cependant Claudine avait l’habitude de rire aux éclats au cours de ses rêves ce qui réveillait tout le monde et entraînait une hilarité aussi bruyante que générale. Camille « au sommeil léger », réveillé par ce bruit qui le mettait hors de lui se décida à ériger au fond du jardin un chalet en bois

1960,en arrière plan le chalet


qui lui permettrait d’isoler toute cette si bruyante famille et préserver ainsi la tranquillité de ses nuits.

La volière


Adossée au chalet une immense volière abritait des oiseaux exotiques.

Pour pouvoir nos offrir les fruits de son « verger », petite cérémonie dont il se faisait une joie et qui satisfaisait son « orgueil » de cultivateur amateur, il avait l’habitude pour les protéger jusqu’à leur maturité, de les compter et de les surveiller attentivement.

Mary-Noëlle et moi devant le figuier


Cependant ils en disparaissaient souvent ce qui lui paraissait inexplicable. Il eut le fin mot de ce mystère lorsqu’il découvrit que Carmen et Dora, pour le plaisir de le « taquiner », dévoraient les figues à peine mures et jetaient les peaux par-dessus la clôture pour masquer leur larcin. Ces peaux qui restaient collées sur le mur trop élevé pour la force de leurs bras trahirent le chapardage, à la grande colère de Camille (probablement simulée en partie) lorsqu’il constata que les oiseaux pilleurs avaient deux pattes.

Le caméléon avec une cigarette


Il y avait aussi, dans la haie du jardin, un caméléon « dressé » qui surgissait des feuillages. Lorsque mon oncle lui mettait une cigarette dans sa gueule il en avalait goulûment la fumée avant de disparaître d’une démarche hésitante dans l’abri de verdure. Nos jeux étaient cruels quelquefois, comme ces sauterelles que nous chassions pour les choisir d’après les couleurs de leurs ailes.
L’arrivée de Marie-Noelle, fille de Claudine complétera le tableau de notre tribu. Nous voilà désormais trois cousins

Jean-Claude, Mary-Noëlle, moi


solidement soudés et se tenant mutuellement lieu de ces frères et sœurs que nous n’avions pas eu.
Il me faut aussi évoquer la famille Limecker, qui résidant à Sidi-Bel-Abbés, venait souvent nous rendre visite.

Un dimanche avec nos amis Limeker, Jeanne à droite sur la photo


Leur fille Jeanne, un peu plus âgée que nous, infirmière à Alger est décédée dans un accident de voiture alors qu'elle allait chercher « en urgence » le sang indispensable à la survie d’une patiente musulmane sur le point d'accoucher.
Madame Limecker, peu conformiste, faisait partie des femmes en avance sur les mentalités, elle pilotait la moto avec son mari, fumait des cigarettes « turques »..., pratiques peu courantes à l’époque. C’était une fameuse cuisinière et je salive encore en évoquant ses succulents cakes fourrés (bourrés) de fruits confits !
Pour occuper les journées chaque saison avait un rituel bien précis.
En Hiver, chasse à la carabine, pose de pièges appâtés par des mouches ou recouverts de glue. Le matin, à notre réveil, déposés sur la table ronde du jardin perdreaux, lapins etc. constituaient le tableau des dernières prises. Le gibier pullulait et il n’était pas rare que, depuis le jardin ma tante tire avec succès sur un lapin qui, en toute innocence s’ébattait en faisant sa toilette dans le champ de blé de Habib.

1940 notre oncle Antoine Moxica, peu avant son décès pour la france, à Nancy


Revêtus d’imperméables et chaussés de bottes, Hutchinson bien sûr, nous partions ramasser des champignons et des escargots, préparés à l’ail et au persil ou accommodés à la sauce piquante c’était un régal.
Jean-Claude et moi, sans avoir encore lu Ben Hur avions inventés un nouveau jeu:

Nous fabriquions des chars en carton aux roues découpées dans des bouchons de liège et nous y attelions de gros « garapateros » ( escargots pas de Bourgogne). Il ne nous restait plus qu’à les mettre côte à côte et à les lancer dans une course "vertigineuse"!!!
Le Printemps venu, dés l’apparition des premières fleurs, ma grand-mère composait d’énormes bouquets de marguerites « pour le cimetière ». Pâques était déjà là. Pour nous, après les friandises des rameaux c’étaient paellas et gaspachos. Camille, en Chef cuisinier,assurait la cuisson,

Mon oncle Camille devant la poêle avec une bonne anisette


conférant aux femmes qu’il surveillait attentivement, le devoir de remplir les taches moins délicates et spécialisées:

Mémé et tata Herminie


épluchage des légumes, découpe des viandes etc.

préparation de la salade


mais c’était lui qui cuisait la paella, mission hautement délicate qui requerrait l’intervention d’un spécialiste ! Le feu de bois dégageait une chaleur infernale et seul le dévot et fréquent

préparation des viandes


recours à une petite anisette ou à un pastis copieux permettait de résister « sans dommages ».
C’était aussi le moment ou nous confectionnions des cerfs-volants (bilochas dans le texte) avec des roseaux pour l’armature et du papier. Cela aussi était tout un art et tous ne volaient pas aussi bien et aussi haut que nous l’aurions souhaités.
Une forêt de cerf-volants égratignait le ciel et souvent queux ou fils s’entremêlaient dans de mémorables ganchos (accrochages).
C’était aussi la saison au cours de laquelle les grand-mères faisaient leur « cure ». Pour lutter contre des maux divers elles allaient se plonger dans la « source d’eau chaude » qui coulait à quelques kilomètres de là. Cette eau avait d’ailleurs des vertus curatives certaines et la source appartenait à un médecin qui avait voulu en faire une exploitation commerciale, sans succés semble-t-il puisque le site, après quelques aménagements sommaires avait été laissé à l’abandon. Ce rite de la Source d’eau chaude avait un caractère hautement folklorique. Les « curistes » empruntaient à leurs gendres leurs caleçons longs. Ces « maillots » leur permettaient de faire trempette en sauvegardant leur pudeur et en déclenchant nos rires.
En été nos journées étaient particulièrement bien remplies et la chaleur ne freinait pas nos activités. Dès le matin nous descendions nous baigner, le plus souvent à la « deuxième descente » qui nous convenait le mieux.

Roger, mon futur mon mari et moi, 2ème descente


Pour arriver à la mer il nous fallait traverser un champ de blé et descendre une pente assez abrupte. En un quart d’heure nous y étions malgré un chargement important : corbeilles et crochets à oursins, masques de plongée, palmes, bateau en caoutchouc et rames… Le retour dans la pleine chaleur de midi, avec en plus de ce matériel les corbeilles pleines d’oursins était moins rapide et plus fatigant mais cela ne nous décourageait pas puisque très souvent nous recommencions dans l’après-midi. Après la sacro-sainte sieste !
Au retour corvée d’ouverture des oursins à l’aide de ciseaux puis plus tard mon oncle fit confectionner un appareil qui les ouvrait plus facilement.

Tata Herminie de corvée d'oursins


J’ai vu cet engin en vente à Toulon. Bien que la corbeille fut pleine ma tante était obligée de compter les oursins pour éviter les bagarres entre Jean-Claude et moi.
C’est à la deuxième descente que j’ai appris à nager. Nous plongions depuis un rocher plat assez tendre à nos voûtes plantaires sensibles en début de saison. Le côté qui donnait vers la côte était sablonneux et nous y avions pieds. Vers le large il fallait savoir plonger et nager pour entrer dans l’eau. Un jour où, allongée sur cette pierre accueillante et à demie-assoupie je goûtais le plaisir de ne rien faire, ma tante qui s’était approchée sans bruit m’a poussée à l’eau. J’ai regagné le bord en barbotant comme un jeune chien. Désormais rassurée puisque je ne m’étais pas noyée, je me suis remise à l’eau pour nager un peu plus longtemps. C’était parti !
Je me souviens encore de cette énorme raie qui s’était enfouie sous le rocher, côté sable ! Les garçons revenaient après une partie de pêche sous-marine et l’un d’eux aperçut un mouvement dans le sable. La bête était d’une telle taille que la queue et la partie avant dépassaient de la dalle qui devait faire environ deux mètres.

La raie de la 2ème descente, elle était vraiment blanche


Dans l’excitation de la chasse, sans penser un seul instant à un danger possible, la plupart des garçons ont tenté de la harponner; seul l’un d’entre lâchant ce qui pouvait ralentir sa nage rapide a choisi l’abri du rivage! Seule une flèche est restée fichée dans sa queue. L’animal était d’une telle puissance que d’un simple mouvement il a arraché la tige de la flèche, laissant le pas de vis lisse! Trouvant certainement le voisinage trop agité il a choisi de partir. Je revoie encore, malgré le nuage de sable qu’il a soulevé, son envolée pleine de grâce et de puissance! Il devait avoir environ trois mètres d’envergure!
De temps à autre les pêcheurs trouvaient des « torpilles », raies gymnotes ou autres chuchos (raies avec deux dards sur la queue). Il arrivait que ces raies soient pleines de petits. Si nous mettions le doigt sur leurs tâches foncées nous ressentions une légère décharge électrique.
Te souviens-tu Jean-Claude de ce poulpe qui grimpait le long de ta jambe ? Avec sang-froid tu lui a retourné la calotte !
Et de ce jour où nous étions partis tous seuls vers la mer. Tu marchais devant moi, ta canne à pêche sur l’épaule. Tout à coup tu la lances au loin et en hurlant tu empoigne ta nuque.

Jean-Claude et l'essaim d'abeilles, montage.


Je croyais encore à une de tes clowneries ! Mais non ! Tu venais de déranger un nid d’abeilles qui s’étaient attaquées à ton cou. Nous sommes « très rapidement » revenus vers ta maman, ébahie et inquiète. De l’eau vinaigrée a apaisé tes douleurs. On ne parlait pas encore à l’époque de piqûres mortelles et d’allergies fatales.
Il me faut maintenant évoquer le souvenir de Tarzan. Pas le Seigneur de la Jungle mais le grand chien jaune et blanc qui nous escortait pas à pas.
Je me souviens encore du jour de sa naissance dans un local situé prés de la villa Camalonga. Je revois une chienne et ses chiots. J’ignore ce qu’ils sont devenus par la suite. Le seul rescapé de cette portée que nous avions appelé Tarzan nous suivait sans cesse et cette fidélité nous a certainement épargné une aventure douloureuse et peut-être même sauvé la vie !
On disait que les chacals ne chassent pas le jour ! Il est vrai qu’on en apercevait un de temps à autre mais jamais on ne voyait les « meutes » qui hurlaient dans la nuit.
Pourtant ce jour-là Jean-Claude et moi nous promenions sous le couvert du bois à hauteur du« chalet » de Monsieur Salord. Nous nous étions donnés la main car des bruits suspects nous avaient alertés. A la lisière des broussailles, à une vingtaine de mètres de nous, nous avons aperçu les têtes de chacals qui nous épiaient à travers les branchages (avec mon imagination de toute jeune enfant je voyais leurs yeux qui brillaient de gourmandise comme ceux du loup du Petit Chaperon Rouge!).

Tarzan, Jean-Claude et moi entourés de chacals, montage


Je sentais la main de mon cousin qui tremblait tout autant que la mienne. Tarzan, dont le poil s’était hérissé depuis quelques instants s’est mis à grogner puis à aboyer furieusement vers la menace. Un des fils de Habib, plus âgé que nous, qui travaillait un peu plus bas, intrigué par les aboiements du chien est venu vers nous et les a chassés en leur jetant des pierres tout en criant ! Merci à toi si un jour tu lis mon histoire !
Comment Tarzan, tout jeune chiot avait-il survécu jusqu’à l’âge adulte ? Nos parents le nourrissait tous les week-ends mais le reste de la semaine il était tout seul. Pourtant il a échappé aux dangers qui menaçaient un jeune chien ayant certainement dû apprendre à chasser pour son compte.

Tarzan avec Jean-Claude, ma tante Herminie, et ????


Il partageait nos promenades et nos jeux et a été notre compagnon fidèle pendant de longues années. Un jour il a disparu. Lui qui accourait aux premiers bruits de moteur de voiture et venait à nous en frétillant sachant qu’une nourriture abondante allait récompenser sa vigilance ne s’est pas manifesté. Nos appels ont été vains ! Nous n’avons jamais su où il s’était caché pour mourir! Mais son souvenir est resté bien vivant dans nos mémoires d’enfants, celles qui ne s’effacent jamais!
Un jeune chien sans maître, venu dont ne sait où, Rocco, n’a pas pu le remplacer dans nos coeurs.

Rocco et moi, 2ème descente


Il avait la fâcheuse habitude de mordre les pierres et ses dents étaient rongées jusqu’aux gencives. Le malheureux, pour complaire à l’homme courait chercher les cailloux que nous lui lancions et qu’il rapportait. Comme il recevait alors des compliments c’était devenu une véritable manie. Bien que lui aussi nous ait escorté avec fidélité, il n’a pas pu remplacer Tarzan.
Tarzan, le Roi des Grands Singes était une de nos distractions favorites.

Jean-Claude devant la grande broussaille


Inlassablement, les garçons faisaient vibrer la "jungle" qui était dans la grande broussaille, en face de la villa Fernandez, en poussant le cri du Gorille vainqueur. Il y avait même des « lianes » qu’à leurs risques et périls ils empruntaient comme Johnny Weissmuller dans ces films en noir et blanc que nous adorions. Ils tuaient les grands fauves et luttaient contre les tribus féroces sauvant de tous les dangers les nombreuses Jane d’Aïn Franin !
Nous capturions aussi des cigales qui, d’abord muettes lorsque nous les prenions reprenaient leur chant lorsque nous tapotions leur dos.
Je réalise aujourd’hui la grande liberté que nous laissaient nos parents. Nous naviguions entre La Mine, Le Petit Port, Mon Rêve, et dans la forêt, sans avoir le sentiment d’un danger anormal. On nous mettait en garde contre les risques que ces jeux en toute liberté, pouvaient entrainer, dans un univers où il y avait serpents, scorpions et autres bêtes dangereuses (pas de lions ! en dépit du nom de la montagne !!!). Mais je crois que nos parents pensaient qu’il nous fallait apprendre à nous garder contre cela et à réagir dans le bon sens. Grâce à Dieu le principe de précaution n’avait pas encore pollué notre existence et on ne pensait pas qu’il fallait un maitre-nageur par centimètres de plage. Il est vrai aussi que nous n’avons aucun souvenir d’un de ces prédateurs à deux pattes qui menacent aujourd’hui les enfants! Peut-être aussi qu’il aurait alors été justement puni, sans soulever état d’âme et graves interrogations superflues.. !
L’automne était surtout réservé aux champignons, car nous avions repris le chemin de l’école et nous allions surtout les fins de semaines à Ain-Franin.
En 1950, maman épouse François Vicedo et son fils Roger viendra renforcer la troupe des enfants de La Mine. Il deviendra mon époux en 1959.

Roger et moi chez Freynet, villa Jeanne-d'arc


Lors d’une promenade, une « exploration » en montagne, Pierre Lafargue en tête nous avions découverts des grottes et des boyaux très étroits où nous avons pénétrés au risque de ne plus pouvoir en ressortir. J’eus l’idée saugrenue de faire croire à mon cousin que des voleurs avaient écrits son nom sur le sol (je venais de le tracer à son insu). Lorsqu’il s’est aperçu du subterfuge, j’ai reçue, une fois de plus, une volée de coups de poings.
Il y a aussi cette mémorable excursion dans la mine. Il y avait dans un boyau assez profond un endroit dont le plafond était couvert de chauve-souris qui se reposaient là à l’abri de la lumière du soleil. On racontait que celles-ci s’emmêlent dans les cheveux des filles… Ce jour-là nous entrons dans la galerie, armés de bâtons. Henri se souvient encore des grands gestes que Roger faisait avec son gourdin. Il reçut un coup qui est resté gravé dans sa mémoire au point qu’il en relate l’incident dans son site.
Nous poursuivons notre progression jusqu’à ce que l’effondrement du boyau nous oblige à regagner la surface. Nous arrivons sur l’ancienne route à hauteur de la « grande flaque » qui stagnait un peu après la maison Estève. Nous voyons sous le couvert un véhicule arrêté qui abritait un couple d’amoureux. Ils avaient laissé la vitre arrière entr’ouverte pour probablement évacuer un trop plein de chaleur ! Nous approchant du véhicule avec des ruses d’Iroquois nous lançons nos chauve-souris sur les deux occupants affairés! Et, prudemment nous courons nous abriter dans les broussailles bordant le champ, secoués par une intense jubilation! Peut-être que le héros malheureux de cet épisode se reconnaîtra et acceptera nos excuses tardives!
Cette mine nous fascinait. Un jour nous décidons de l’explorer. Nous voilà tous partis en file indienne. Le plafond se rapprochant du sol, sans hésitation nous nous mettons à ramper dans un boyau de plus en plus étroit. Heureusement qu’au bout d’une assez longue reptation nous avons trouvé une partie qui était assez large pour nous permettre de faire demi-tour! Autrement nous y serions encore à l’état de vestiges!
J’entends encore le cri d’effroi de ma tante Herminie qui après avoir dévisagée la « horde » noire de charbon qui sortait de la mine s’arrêtant sur le visage barbouillé de l’un d’eux :
« Mais c’est mon fils ! »
Nous nous éclipsâmes tous sans mot dire pour nous débarbouiller.
L’adolescence nous donnait de nouveaux centres d’intérêts. Chez Josie, dans le « balcon » que dessinait le mur du jardin nous entamions notre période romantique. Nous achetions les livrets qui contenaient les paroles des chansons qui nous inspiraient le plus. J’affectionnais beaucoup celle de « Marco Polo et de son bateau aux voiles blanches » que j’aimerais retrouver. Nous n’imaginions pas alors que très bientôt le bateau nous entraînerait vers de sombres rivages où s’éteindrait notre joie de vivre ! Quelque part quelques gènes de Conquistadores devaient frémir!
Nous faisions des virées au Petit Port où nous pouvions lier de nouvelles amitiés, entre autres les frères Quilés, Fonquernie le champion de natation pour les filles et les garçons y trouvaient de nouveaux centres d’intérêts beaucoup moins fraternels. Ce qui n’allait pas toujours sans frictions !
C’était la période des matchs de volley (qui n’étaient pas encore appelés beach) et de certaines expéditions de reconnaissance vers des camps de scouts qui s’étaient installés dans la pinède, près du stade du Petit Port, non loin du chemin de la maison forestière et que nous ressentions un peu comme des envahisseurs !
Il y avait aussi les « bals » chez Jean-Claude où un neveu de Simon venait nous rejoindre. Nous commençions à accorder beaucoup d’attention à nos tenues vestimentaires.
Il y avait la fête du Petit Port avec ses concours de belote, de boules, de volley, sa course en sac et celle à l’oeuf et sa chasse au canard. Un canard pour les garçons et un pour les filles. Je me souviens encore de cette année faste où nos équipes de La Mine, jeunes gens et adultes confondus ont tout raflés !
La fête d’Arzew où jouaient les meilleurs orchestre de métropole (Jacques Hélian, Ray Ventura, Perez Prado…) où nous allions entassés dans la voiture de Camille, chaque parents emmenant leurs rejetons respectifs. Arrivés sur la place du village, quartier libre jusqu’à l’heure du retour, ardemment négociée et soigneusement fixée.
Une retraite au flambeau sur la route nationale après le repas du soir. Nous nous arrêtions pour chanter tout en restant attentifs aux bruits de la nuit.
Nous allions souvent à Kristel, chez Faudrit pour regarder les petits « arabes » plonger du haut des rochers dans la crique à la recherche des pièces que lançaient les clients du restaurant. Les analyses « victimistes » à la mode aujourd’hui n’avaient pas encore polluées les esprits et « pêcheurs » et « lanceurs » riaient de concert aux exploits de quelques champions.
Dans les années 60 nous sommes revenus quelques fois à Kristel sur les rochers avec mon bébé dans son landau. Il nous semblait impensable de laisser les « évènements » nous pourrir la vie.
Voici venue l’heure de l’émancipation. La « bande » n’est plus aussi présente. Pierre Laffargue a épousée Monique, moi Roger, Josie est fiancée à Jo, Ninou et Yves se marient. Elle aussi attend un enfant et nous voilà donc, futures mamans échangeant des conseils, préparant la layette (grande affaire à l’époque !). Roger qui s’est engagé participe aux trois premières explosions atomiques de Reggan…

1959 Roger Vicedo à Reggan


Pierre Laffargue épouse Monique, Roland Billaut épouse Danielle Marie, et Jean-Claude s'unit à la Bel-Abésienne, Nicole Ventura
La vie suit son cours. La fille aînée de Ninou est née en juin-juillet 1960, Monique, ma première fille en septembre 1960. Vers le 15 septembre j’ai trempé ses pieds dans l’eau de la deuxième descente peut-être dans un rituel prémonitoire ? Pour que s’imprègne en elle le souvenir de notre bonheur perdu !
Un soir de novembre, pour fêter la Quille de Roger, nous sommes venus Jean-Claude, une de ses amies, Roger et moi chez Freynet réveiller Gilbert, le cuisinier-gardien pour qu’il nous prépare un repas de fête. Après s’être enquis de l’identité des arrivants (car à cette époque dans les coins isolés on n’ouvrait plus à n’importe qui!) il s’est mis au travail et nous a servi un repas succulent! Comme nous l’avions bien arrosé nous sommes resté dormir chez Camille l’âme en paix. Nous ne pensions pas, avec raison, que la famille de Habib pour laquelle nous avions une vieille amitié représenterait un danger.
Aujourd’hui Roger et moi sommes les parents de cinq filles dont les benjamines sont jumelles, grands-parents de neuf petits enfants très vivants et vivaces, et une arrière petite fille Marie! C’est un peu pour eux qu’avec ma fille Hélène je compose ce site, pour qu’ils nous connaissent un peu mieux! Qu’ils comprennent que dans la chaleur africaine la famille « étendue » était une réalité qui nous permettait de mieux goûter aux joies simples de la vie d’antan!



1959 Roger Vicedo à Reggan


1959 Roger Vicedo à Reggan


Je manquais de photos pour illustrer nos souvenirs, j’ai tenté de les remplacer par de modestes animations. J’espère qu’elles vous plairont et que vous prendrez autant de plaisir à les regarder que j’en ai eu à les faire.
J’invite tous les amis qui le souhaiteraient à nous raconter leurs propres souvenirs. J’espère qu’ils les illustrerons abondamment! Leur « éclairage » sera certainement autre que le mien et le complètera.





Monique VICEDO-BERTIER, Novembre 2003